L’écriture, la poésie et moi : L’enfance…

Dans les jeunes années de ma polio, je m’inventais des histoires pour meubler mes enfantines insomnies occasionnées par les séquelles respiratoires de la maladie.
Je n’appréciais pas les contes, je voulais du concret ! Dans mes récits, il y avait des garçons et des filles dans des lieux ordinaires. Ils étaient, eux, normaux, pas comme mes voisines de dortoir de l'hôpital, les garçons à l'étage au-dessus, ou seulement moi quand j'ai rejoint ma famille en Allemagne où mon père, militaire alors, était en garnison. Mes personnages s'aimaient, et je les aimais ! C’était des feuilletons tout en images, comme les vrais à la télévision, que je faisais durer plusieurs nuits avec délectation. Quand ils me lassaient, j’en créais d’autres...
Puis les lettres sont rentrées dans ma tête en apprenant à lire. Quant aux films, les rêves les ont repris quand j’arrivais à dormir. Maintenant, une voix a remplacé la caméra de mon enfance, et elle me visite n’importe quand. Je dois la contrôler au risque qu’elle aspire toute ma réalité ! Elle affiche les proses spontanément, bien avant le cahier ou l’ordinateur pour un dixième d’elles, qui souvent s'effacent si je n'en tiens pas compte. Pour les poèmes c'est autre chose, je dois prendre la plume tout de suite afin de me jeter dans les calculs prosodiques.
L’enfant a grandi avec sa curiosité imaginative. Depuis que j'ai décidé de me lâcher, j’ai l'impression que ma langue se délie enfin, si restreinte et résignée au gré des rares tentatives de me rapprocher du monde auquel je suis censée appartenir.
Même devenue une grande personne, je refuse de m'éloigner de la petite fille. J'y puise le meilleur guide d'un artiste.